La hausse du pétrole partie pour durer

L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) vient de revoir ses estimations de consommation de pétrole dans le monde depuis 2007, qui étaient en réalité fausses. En effet, elle a grandement sous-estimé la consommation globale, notamment des industries pétrochimiques chinoise et saoudienne. Cela signifie que les possibilités de production supplémentaire pour faire face à la demande réelle sont bien plus limitées que les gouvernements ne le pensaient. Cette nouvelle est intervenue au moment même où les prix du pétrole s’envolaient suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie (24/02/2022).

Au-delà de ce conflit qui pousse les cours du pétrole à la hausse, il y a également des raisons structurelles pour que l’énergie la plus consommée au monde (31% en 2019) ne cesse de se renchérir dans les prochaines années. La consommation de pétrole devrait augmenter de 3,2 millions de barils par jour cette année pour atteindre 100,6 millions de barils et elle a été grandement sous-évaluée depuis de nombreuses années.

C’est d’autant plus problématique que les chiffres de l’AIE sont utilisés en permanence par les gouvernements, les compagnies pétrolières et les experts. Cela signifie que toutes les projections sur les équilibres entre offre et demande de pétrole sont fausses depuis… 15 ans. La demande supplémentaire que l’AIE a identifiée est supérieure à 800 000 barils par jour au cours des trois dernières années (voir le graphique ci-dessous).

Elle représente en tout 2,9 milliards de barils depuis 2007. C’est l’équivalent de 5 fois les réserves stratégiques américaines ou la consommation annuelle cumulée de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et du Mexique ! Quelle erreur !

Nombre de barils jour supplémentaires consommés depuis 2007

Une sous-estimation massive des besoins de l’industrie pétrochimique

Comme dit plus haut, l’erreur provient avant tout de la consommation de pétrole par les industries pétrochimiques chinoise et saoudienne. La pétrochimie est le secteur dont la consommation de pétrole devrait le plus augmenter dans les prochaines années et qui n’a même pas baissé, durant la période la plus critique de la pandémie en 2020. La révision des chiffres de l’AIE signifie plusieurs choses pour le marché pétrolier.

Tout d’abord, les 660 millions de barils en surplus dans les réserves mondiales que l’Agence avait calculées il y a encore un mois n’existent plus. Au final, les réserves mondiales étaient inférieures début 2022 à ce qu’elles étaient fin 2019 avant la pandémie. Il en va de même des stocks commerciaux qui sont tombés à 60 millions de barils en décembre dernier. Le marché pétrolier est en fait beaucoup plus tendu que les experts ne le pensent. Par exemple, la décision de Joe Biden de mettre sur le marché une partie des réserves pétrolières américaines pour faire baisser les cours a eu un impact plus que limité.

L’OPEP+ semble incapable de produire plus

Une éventuelle stabilisation et baisse des cours, indépendamment de la situation ukrainienne, dépend de la capacité à produire plus, qui passe notamment par les Etats-Unis, avec l’accélération de l’exploitation du pétrole de schiste et par l’Iran, si, à la suite d’un accord sur son programme nucléaire, ce pays peut à nouveau exporter sans entrave ses barils.

Selon plusieurs études sérieuses, 15 des 19 pays de l’OPEP+ ont été incapables de respecter leurs objectifs de production. De plus, la production des 13 membres de l’OPEP a seulement augmenté de 65 000 barils par jour le mois dernier, soit un quart de l’augmentation annoncée. Selon l’administration américaine, la production de pétrole de schiste devrait augmenter aux Etats-Unis de 200 000 barils par jour en 2023. Un accord sur le nucléaire iranien débloquerait environ 1,3 million de barils par jour. Cela permettra peut-être dans les prochains mois de stabiliser les cours.

Baisse des investissements dans la recherche et la production

Cependant, l’équilibre entre demande et offre reste durablement menacé. En effet, la production de pétrole commence à être affectée par la baisse des investissements dans l’exploration depuis plusieurs années du fait de la pandémie et surtout des pressions croissantes sur les investisseurs pour se détourner des énergies fossiles. Le ministre du pétrole saoudien a d’ailleurs mis en garde contre un risque majeur de crise énergétique dans les prochaines années du fait de l’effondrement des investissements pétroliers. Il estime que la production mondiale pourrait baisser de 30 millions de barils par jour (environ 30%) d’ici 2030 !

Les investissements dans le pétrole et le gaz ont chuté de 30% en 2020 à 309 Mds $ et sont très légèrement remontés en 2021. Il faudrait qu’ils reviennent quasiment à leurs niveaux d’avant la pandémie, de 525 Mds $ par an, pendant le restant de la décennie pour pouvoir répondre à la demande…

Ainsi, les grandes compagnies pétrolières, comme Royal Dutch Shell, BP ou TotalEnergies, réduisent leurs investissements dans le pétrole et se tournent en priorité vers les renouvelables.

Cependant, si l’envolée des prix du pétrole se poursuit, les dirigeants de la plupart des pays auront pour priorité de limiter les conséquences d’un tel choc, en investissant grandement dans la transition énergétique. Plusieurs experts décrivent l’augmentation des prix du gaz des derniers mois comme « le premier grand choc énergétique de l’ère verte », qui serait lié à des investissements mal gérés dans les énergies renouvelables comme dans les combustibles fossiles ; ce qui pourrait conduire à une révolte du peuple, comme l’ont montré les différentes manifestations des Gilets jaunes à travers le monde, puis des Convois de la Liberté…

Florent Ly-Machabert