Pourquoi les prix de l’électricité s’envolent-ils en France ? (extrait de Finance & Tic, N°24)
Il s’en est fallu de peu, début février 2022, pour que nous subissions une augmentation de 35% de notre facture d’électricité. Seul un blocage des prix, imposé par le gouvernement quelques semaines auparavant, a pu ramener la hausse à « seulement » 4% et à 15% en 2023. Comment se fait-il que la France, pays du nucléaire, connu pour son électricité bon marché, ait vu autant s’envoler les prix ? Que va-t-il se passer après le 1er juillet 2023, date de mise à mort par l’UE du “bouclier tarifaire” à la française ?
Un tarif protecteur
Les consommateurs français sont censés être protégés des variations du prix de marché. Côté particuliers et TPE (très petites entreprises), un tarif régulé de vente (TRV), exclusivement proposé par EDF, sert de référence de prix pour le marché grand public. C’est par rapport à ce tarif que les concurrents d’EDF mettent en avant des offres à -5% voire -10% pour essayer de grignoter des parts de marché. Le TRV est revalorisé par décret une fois par an, en février.
À côté de ce prix réglementé, le marché français est aussi régulé en amont, côté production, afin de faire bénéficier les entreprises comme les particuliers du nucléaire compétitif. La clé de ce dispositif s’appelle l’Arenh. L’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (Arenh) permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics. Dans ce cadre, EDF vend à ses concurrents, à un tarif fixe et très modique de 42€ par mégawattheure, pas moins de 100 térawattheures (TWh) d’origine nucléaire sur une consommation française totale d’environ 470 TWh. Le reste est vendu par EDF en contrats long terme aux industriels électro-intensifs. Au final, la hausse des prix est amortie par l’Arenh, pour les particuliers.
Recours au marché
Mais la partie non amortie est de plus en plus importante et fait de plus en plus mal aux entreprises. Il y a quelques années, les 100 térawattheures satisfaisaient aux besoins des fournisseurs alternatifs, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ayant gagné des parts de marché contre EDF, les concurrents ont davantage besoin d’électricité. Cet hiver, ils ont déposé un niveau de demandes record de 160 TWh au titre de l’année 2022. Ils ont par conséquent dû acheter les 60 TWh manquants pour la production française en décembre. Au moment où le cours de l’électricité battait tous ses records en France et en Europe.
Le surcoût lié a été pris en compte mécaniquement dans la formule de revalorisation annuelle du TRV. Ne pas le faire aurait conduit les fournisseurs, qui proposent des offres à prix indexés sur l’évolution du TRV, à la faillite. Ils verraient en effet leur coût d’approvisionnement s’envoler, vu les records sur les prix de vente, sans pouvoir augmenter leurs prix, entraînant une vente à perte conséquente. Le TRV est donc ajusté en tenant compte du marché qui flambe depuis des mois, et les 60 TWh achetés à prix d’or expliquent la hausse de 35% qu’aurait dû connaître le TRV.
Le mécanisme du TRV fonctionne donc bien quand les fournisseurs alternatifs ne demandent pas plus de 100 TWh d’Arenh. À partir du moment où il y a dépassement, l’évolution du TRV, censé protéger les consommateurs contre les variations de prix tout en les faisant bénéficier du nucléaire pas cher, est dépendant des prix de marché. Une partie de la formule de revalorisation du TRV prend en compte la moyenne des prix de marché lissée sur deux ans. Une autre prend en compte les prix de marché durant décembre, qui ont explosé en 2021.

Des réseaux nationaux interconnectés
Sur le marché de l’électricité, ce n’est pas le nucléaire, réputé bon marché, qui fait le prix, mais la dernière centrale mise en route pour satisfaire la demande (coût marginal). Ce rôle est rempli par les centrales tournant au gaz ou au charbon. Leurs coûts dépendent directement du cours du gaz (allemand) et de celui de la tonne de CO2. Quand ils battent des records historiques, comme c’est le cas depuis l’automne 2021, le prix du mégawattheure fait de même. Cette règle vaut pour tous les marchés nationaux européens.
Les réseaux nationaux sont d’ailleurs interconnectés, ce qui permet de combler les manques ponctuels dans un pays, en cas de pic de consommation hivernale en France, par exemple. En temps normal, cela contribue à rapprocher les prix entre pays voisins. Ainsi, sans ces connexions, reliant les réseaux des différents pays, le prix sur le marché serait plus cher dans les pays qui l’importent. Des interconnexions d’une capacité infinie déboucheraient sur un prix unique européen. Mais comme elles ont des capacités limitées, cela provoque des différences de prix entre pays. Au final, si un pays dispose d’excédents d’électricité pas chère, celle-ci sera exportée, contribuant à faire baisser le prix dans le pays qui l’importe. Dans la limite de ce que peuvent faire transiter les interconnexions.
Florent Ly-Machabert
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