Vers un boom de la zone indo-océanique ?

Dix jours après le Sommet des BRICS à Johannesburg, nous pouvons affirmer qu’un nouveau monde est incontestablement en train de se lever, né, d’abord, des bouleversements de l’après-guerre et du nouveau système international, incluant une importante composante monétaire, reposant sur l’hégémonie du dollar (Accords de Bretton Woods, 1944).
Le premier caillou dans la chaussure des États-Unis date, paradoxalement, du 15/08/1971, date à laquelle le Président Nixon « suspend temporairement » la convertibilité en or du dollar américain. S’ensuit un demi-siècle d’« argent magique », combinant baisse de taux, injections massives de liquidités (le fameux « Quantitative Easing » ou « QE »), le tout pour financer une débauche d’endettement public. L’un des clous du cercueil de la devise internationale réputée « as good as gold » a consisté en la promotion de l’extraterritorialité du droit américain, ce qui signifie que la CIA a obtenu un droit de regard (et de sanction) sur toutes les transactions qui se soldent en USD, même entre non Américains ! C’est ainsi qu’elle a condamné la Société Générale en 2018 à verser 1,2 Md € pour « non respect des sanctions économiques des USA à l’encontre de Cuba, du Soudan et de l’Iran » et 300 M$ pour l’usage du dollar dans une affaire de corruption en Libye (en lien avec N Sarkozy ?) ; mais aussi le Crédit Agricole en 2015, BNP Paribas en 2014, etc.

Un effet “Opération Spéciale ” ?

Enfin, le gel en 2022 des réserves de change détenues par la Banque Centrale russe auprès des banquiers centraux du monde entier dans le cadre des sanctions infligées par l’OTAN à V Poutine suite au lancement de son “Opération spéciale” en Ukraine a fini de convaincre n’importe quel pays, et notamment les émergents et les BRICS, que, tôt ou tard, cela pouvait très bien leur arriver.
Le principal atout des BRICS a toujours été d’afficher une croissance économique vigoureuse, et rapide, en capacité de corriger un PIB par habitant – c’est singulièrement vrai des six nouveaux membres : Argentine, Arabie saoudite, Égypte, Éthiopie, EAU, Iran – plus faible que celui des « pays développés ».

Un point commun : les dividendes de la mondialisation

Dans le grand tumulte de ce début de XXIe siècle, les émergents sont venus installer une transversalité qui ne visait pas, historiquement, à élaborer un quelconque système : qu’est-ce qui, en effet, pouvait rapprocher, d’une part, la Chine et la Russie, anciens piliers du monde communiste, et, d’autre part, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique (sorti depuis du club) ou encore l’Argentine (nouvelle entrante), tous issus de dictatures pro-américaines ? Sans parler de l’Inde, où se tient actuellement le G20, qui a toujours été un parangon de non-alignement… Une réponse s’impose, aussi déplaisante soit-elle pour les idéologues : la mondialisation, et ses marchés aptes à engendrer des ressources nouvelles et à offrir un niveau de confiance interindividuelle que leur avait ôté un régime autoritaire, voire totalitaire.
Car, ne nous y trompons pas, les émergents présentent de nos jours un niveau de stabilité institutionnelle qui leur permet de jouir d’un État solide, en capacité, notamment, de réguler les affaires économiques. Leur vraie valeur ajoutée, c’est leur « énergie vitale », leur volonté de puissance, qui consiste tout à la fois à refermer la parenthèse coloniale, à renouer avec un passé souvent noble et à s’imposer comme puissance militaire, parfois même nucléaire comme la Chine ou l’Inde, ou encore spatiale (voir le récent succès indien en la matière).

Les BRICS+ sur tous les fronts

Concrètement, les BRICS+ sont à présent de toutes les batailles : 1) celle des parts de marché (de la conception indienne à la production chinoise, en passant par l’agriculture brésilienne et les « rentes naturelles » et autres ressources énergétiques russes ou sud-africaines) ; 2) celle des investissements directs à l’étranger (comme l’a bien compris la Chine vis-à-vis de son terrain de chasse favori, le continent africain) ; 3) celle du facteur démographique et humain, qui revêt une importance (géo)politique de tout premier plan ; 4) celle du rayonnement culturel (soft power) que ces pays refusent de laisser dominer, désormais, par le wokisme qui menace de tout déconstruire ; et 5) celle du « pari de l’intelligence et de l’innovation » (R&D, brevets).

Les défis des BRICS+

Des défis, souvent colossaux, les attendent aussi. Retenons-en deux : celui de la sécurité alimentaire, en passe d’être gagné compte tenu de la physionomie des élargissements en cours ; celui de l’environnement, plus sujet à caution, les BRICS adoptant le plus souvent une posture, compréhensible, de « passager clandestin » en matière de coopération climatique.
Une chose est certaine : comme nous l’expliquons dans le numéro de rentrée de Signal & Tic et comme nous l’expliquerons dans plusieurs de nos dossiers bimensuels à venir pour Le Courrier des Stratèges, la zone indo-océanique sera le théâtre d’un boom économique sans précédent, et ce d’autant plus que l’Éthiopie, qui est dans cette zone, mais aussi plusieurs pays moyen-orientaux (Iran, Arabie saoudite, EAU) s’apprêtent à devenir les nouveaux géants de demain.

Florent Ly-Machabert